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Entretien avec Prego

Ecole Courbevoie

Plus les enfants sont petits, plus vous pouvez les stimuler en utilisant des matériaux souples et des couleurs spéciales, selon l'architecte parisien Ingacio Prego. À mesure qu'ils grandissent, vous devez créer un environnement plus neutre. Prego s’efforce de rendre un système éducatif français rigide, plus souple et plus ouvert à travers son architecture, et autant que possible de développer la fonction sociale de l'école.

Recroquevillé comme une coquille d'escargot, la crèche de la rue Picard se niche parmi des bâtiments au pied de Montmartre. Avec ses toitures pentues et ses couleurs attrayantes, elle se distingue au milieu de ce quartier multiculturel, aux faibles revenus. L'architecture semble dire : "Voici un endroit pour échapper à la dureté de la vie". La conception est typique de l'approche du bureau parisien de BP Architectures, dont les designs des écoles et des crèches engagent systématiquement un dialogue avec le contexte urbain.

Les associés fondateurs, Jean Bocabeille et Ignacio Prego, travaillent séparément mais les réalisations scolaires reviennent toujours sous leur responsabilité conjointe, explique M. Prego. Il souligne qu'ils ne sont pas spécialisés dans la construction d'écoles, et n'ont pas établi de cahier des charges spécifiques pour elles. "Mais il y a bien sûr un principe de base : lorsque vous concevez pour les enfants, il faut respecter une certaine échelle, une certaine ergonomie. Vous devez plus tenir compte du confort, de l'éclairage et de l'acoustique. Ces aspects sont toujours pris en compte lorsque nous construisons pour les enfants. Il s'agit de la vie quotidienne d'un enfant parmi les autres à l'école. Lorsque de nombreux enfants sont ensemble, il y a toujours beaucoup de bruit, que ce soit dans la salle de classe, la cantine ou la cour de récréation. Avec une bonne acoustique, les enfants sont plus assidus et se concentrent mieux. Le niveau sonore dans une pièce influence la façon dont les gens se comportent les uns envers les autres. Ils parlent plus fort ou plus doucement, et peuvent marcher plus vite ou plus lentement : le bruit a un effet concret".

En tant qu'architecte, quelle est la première question que vous posez lorsque vous parlez à votre client ?

Normalement, il est pratiquement impossible d’échanger dès le départ avec le client. Les projets scolaires en France démarrent toujours par un appel d'offres public, et chaque bureau d'architecture reçoit le même cahier des charges. Les discussions ne peuvent pas avoir lieu tant que l'appel d’offres n’a pas été gagné. Mais ensuite il y a peu de marge de manœuvre pour modifier la conception. Malgré ce handicap, notre objectif est d’ajouter de la valeur au projet et d’encourager le développement de l'éducation française. Historiquement, la France a eu un système éducatif centralisé bien organisé. La scolarisation a été rendue obligatoire pour tous les enfants français au 19ème siècle. Jules Ferry, ministre de l'éducation à l'époque, est l'un des fondateurs du système scolaire actuel. Sa vision de l'éducation est encore présente dans les écoles d'aujourd'hui, même dans les nouveaux projets. Notre objectif est, dans une certaine mesure, de briser les vieilles contraintes et de proposer quelque chose d’un peu plus flexible et adaptable. Nous le faisons en réponse à l'environnement urbain, car c'est là que vous trouverez la source du changement.

Voulez-vous dire que le changement ne vient pas de l'intérieur, par la façon dont l'espace est organisé, mais de l'extérieur, du contexte urbain ?

Oui, vous pourriez dire ça comme ça. Ce que nous avons fait à Courbevoie est un exemple intéressant. Au début, la demande concernait une extension, un bâtiment unique desservant deux écoles voisines. Un lien était nécessaire entre les deux écoles. Nous avons décidé de faire quelque chose qui était assez spacieux, avec plus d'espace et d'ouverture vers l'extérieur, de sorte que les écoles pourraient se fondre avec l'environnement. En même temps, nous voulions obtenir un résultat contemporain, un design d'aujourd'hui. Le rendu global devait être vivant et harmonieux. Nous avons donc pris le risque d'aller au-delà de la demande. Nous avons proposé la construction non pas d’un mais de deux volumes, un pour chaque école. Il s'agissait de la même construction au global, mais elles se répondraient l’une l'autre. Comme ça, nous avons donné à l’ensemble une nouvelle dynamique. Par la construction de deux blocs, nous avons créé un espace ouvert qui permettait l’échange entre les générations et entre les parents. De cette manière, nous avons mis davantage l'accent sur le rôle social de l'école. Dans notre idée, la région parisienne en particulier est en proie à une révolution démographique. La population de certains arrondissements est maintenant en grande partie étrangère. L'image classique de l'écolier blanc avec son cartable appartient au passé.

À votre avis, une fonction importante de l'école est donc de rassembler les gens ?

Ce n'est pas seulement notre point de vue ; tout le monde est d'accord à ce sujet. L'école est la voie de l'enfant vers la vie collective, vers la communauté française. Le modèle d'intégration français est très différent de son homologue anglo-saxon. Au Royaume-Uni, comme aux Pays-Bas, l'idéal est plutôt de séparer les communautés qui vivent l’une à côté de l’autre. En France, l'école est le lieu où tout le monde s’intègre, indépendamment de sa religion. Mais ce n'est pas facile de créer la cohésion sociale souhaitée. Les tensions se sont aggravées avec la crise économique actuelle. Cela rend la fonction sociale de l'école - lieu où les gens apprennent à se connaître et intègrent des valeurs communes - d'autant plus importante. En tant qu'architectes, nous n'avons pas les coudées franches pour soutenir ce processus. Mais nous faisons ce que nous pouvons.

Je suis frappé par la façon dont la conception de votre école et de la crèche se démarque visuellement du voisinage, d'une manière presque emblématique.

Nous voulons donner aux enfants l’envie d'aller à l'école. Nous essayons de leur offrir une école légère et optimiste - un endroit où ils peuvent rencontrer d'autres enfants. Les écoles sont parfois un peu ternes et déprimantes. Elles peuvent être des instituts où les enfants doivent obligatoirement se rendre, où l'esprit et le corps sont éduqués, où ils sont entrainés comme des chevaux. Cette atmosphère est encore présente dans le système scolaire français. Vous n'avez qu'à regarder les meubles des salles de classe. Les tables et des chaises sont toujours positionnées d'une certaine manière. Il s'agit d'une constante culturelle, ce qui est très difficile à faire évoluer. Le ministère de l'Éducation a acheté un stock de mobilier scolaire destiné à durer vingt ans. Les parents aussi ont souvent un frein au changement. Ils estiment que leur enfant doit aller dans une école qui ressemble à celle qu'ils ont eux-mêmes connue étant enfant. Des expérimentations sur d'autres systèmes éducatifs ont lieu, mais peu de choses émanent encore de ces projets. Il n'y a pas de distinction entre les différents types d'espace qui sont nécessaires pour un enseignement moderne, par exemple pour permettre aux enfants de travailler en petits groupes ou de travailler séparément sur des ordinateurs. Ceci est une conséquence du cahier des charges, dans lequel les dimensions exactes de chaque classe sont précisées. Ces dimensions reflètent une fois de plus un modèle pédagogique établi. En tant qu'architectes, nous apportons la créativité dans le design des façades et des volumes.

On dit parfois qu'il y a « trois éducateurs» : l'enseignant, le groupe d’enfants et le bâtiment. Le dernier est entièrement une question d'espace, de lumière, de couleur et de sensation. Est-ce que vous êtes d’accord avec ce rôle accordé à l’architecture scolaire ?

Décrire l'architecture en tant que troisième éducateur est un peu trop fort. La pédagogie dépend principalement de l'enseignant et l'enfant. Mais l'architecture peut offrir un environnement d'apprentissage confortable, ce qui facilite l'enseignement et l'éducation. Un architecte peut stimuler la curiosité des enfants, les mettre à l'aise et les aider à bien se concentrer. Elle se fait entre autres par le choix des matériaux et la conception ergonomique, par exemple en faisant des coins arrondis qui améliorent l'acoustique.

Je peux imaginer deux approches. L’une où les classes sont aussi calmes et neutres que possible. L'autre où la classe stimule l'enfant par différents moyens – avec des surfaces tactiles, de la lumière et de la couleur.

Je pense qu'il doit y avoir une combinaison de ces deux approches selon l’âge des enfants. Plus ils sont jeunes, plus vous pouvez les stimuler en utilisant des matériaux souples et des couleurs spéciales. Plus ils grandissent, plus l’environnement doit être neutre. L'enseignement supérieur doit clairement être un environnement neutre.

Ce qui me frappe le plus dans le travail de BP Architectures, c’est la façon dont les écoles et les crèches sont reliées au contexte urbain. D'une part les bâtiments s’extraient des alentours et offrent une protection pour les enfants. D’autre part, ils entrent dans un dialogue avec l'environnement.

Oui, c'est l’idée phare dans de nombreux cas. La crèche de la rue Pierre Picard, par exemple, est située de manière assez étrange. Elle est nichée entre des immeubles de grande hauteur. La problématique était de concevoir un bâtiment qui était nécessairement différent dans cet endroit en raison de son échelle. C'est pourquoi nous avons opté pour la forme d’une coquille d'escargot. Elle est colorée, et elle porte quelque chose de temporaire ou éphémère, un peu comme un chapiteau de cirque. Nous avons également choisi une solution inhabituelle pour l'entrée. Vous devez avancer profondément à l'intérieur avant de pouvoir entrer dans l'école elle-même, au lieu d’entrer directement à partir de la rue. Au final, vous faites pratiquement le tour du bâtiment. Il a deux étages, ce qui signifie que nous pouvions surélever une partie de l'aire de jeux pour la rendre plus grande et plus légère.

Les toits pentus sont une référence à la façon dont les enfants dessinent généralement les maisons ?

Oui, c’est le cas. Nous voulions que l'architecture se rapproche de l’habitation, de sorte que les enfants perçoivent l’école comme une maison. Les toits sont quelque chose de connu à Paris. Le 18ème arrondissement est un peu en hauteur, vous pouvez donc observer les toits de de la ville. C'est aussi pour cela nous avons utilisé le zinc, parce que c'est un matériau communément utilisé pour les toitures à Paris. Au début, nous avions pensé à une construction en bois, avec des poutres en bois. Le bois a une odeur agréable et apaise. Le bâtiment prend la forme d’un jouet. Malheureusement, nous n'avons pas pu le faire pour des raisons de budget.

Les connexions que vos projets développent avec leur environnement semblent aussi avoir un objectif pédagogique implicite. L'école de la rue des Grands Moulins se niche dans l'angle interne d’un projet multifonctionnel. Mais étonnamment, il offre également un aperçu sur le monde extérieur. Je suppose qu'il est destiné à rappeler aux enfants en permanence la ville où ils vivent.

C'est exact. Nous voyons l'école comme un environnement relativement protecteur, qui donne aux enfants l’occasion de s’éloigner de leurs familles pendant un moment. Après tout, la vie de famille n'est pas toujours idéale. À l'école, l'enfant est libéré des pressions familiales. Mais l'école éduque aussi les enfants à devenir des citoyens, et à appréhender un environnement plus large. Nous voulons faire prendre conscience aux enfants de cela grâce à notre architecture.